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Les Amis (Quakers) n’ont pas de crédo, paraît-il. Pourtant, je leur en collerais bien un : » Je doute, donc j’agis « . La plupart des Amis que j’observe, ont comme une urgence intérieure. Ils recherchent des réponses. Ce sont des chercheurs. Que signifie ce crédo ? » Je doute » mais cela sonne comme un » Je crois « . Pourquoi est-ce que je crois sans en être sûre ? C’est parce que j’entends quelque chose en mon être intérieur, qui m’invite à me recueillir, qui m’invite à discerner le message qui me vient de la lumière. Et je l’écoute et je l’accueille. En silence. Ne pas parler est une épreuve redoutable pour beaucoup de nos contemporains. Mais c’est une condition sine qua non. Taire notre ego, nos idées parasites.
Certains appelleront cela, » prier « . Toutefois, cela relève davantage de l’écoute active. En silence. J’écoute malgré ce brouhaha intérieur, uniquement les messages qui pourraient éclairer mon chemin. Et en plus, je crois que tout le monde peut distinguer cette lumière en son for intérieur. Il ne s’agit pas d’entendre des voix, ni de leur parler, comme une personne atteinte de troubles psychiatriques. Il s’agit de spiritualité profonde, cachée en soi, révélée à chacun, s’il en fait sincèrement l’effort de le chercher. Dans ce processus de recherche, le doute est omniprésent. C’est pourquoi il est ardu d’écouter sa voix intérieure qui mène vers la lumière, que certains appelleront Dieu. Le terme » lumière » est représentatif : il est positif, il est au-dessus des conflits, des contingences.
Et le culte des Amis devient parfois un endroit » magique « . L’énergie bienveillante circule entre les Amis rassemblés. Quelquefois certains Amis se lèvent, poussés à parler pour partager leurs » trouvailles » au cours de leur recherche intérieure pendant le culte (on parle de ministères). Ces » trouvailles » résonnent parfois dans le cœur et l’esprit des uns et des autres. Quand ça arrive, c’est formidable. C’est comme si on ouvrait les yeux sur quelque chose qu’on pressentait, mais qu’on n’avait pas vraiment compris jusqu’ici. On a la conscience qui s’ouvre sur quelque chose de familier mais qu’on voit avec une perspective différente. Et c’est nouveau. Le chemin vers la lumière devient plus sûr, moins pénible, moins escarpé, plus léger, avec les Amis rassemblés en culte. Je sens la bienveillance autour de moi et la volonté de se soutenir ensemble pour essayer de capter la lumière et la partager au monde extérieur. On passe de l’intérieur vers l’extérieur. Ah, ce monde extérieur… Les Amis que j’observe ne sont pas des grands taciturnes, terrés dans leur caverne silencieuse. Ce sont des citoyens du monde, tournés vers les actualités, les turpitudes et les joies du monde actuel. Ce qui leur vaut pour certains, des moments de grande tristesse, voire de colère et d’aigreur, comme pas mal de nos contemporains face aux conflits, aux défis écologiques, aux privations, aux tortures, aux discriminations.
Que signifie la 2ème partie du crédo : » j’agis » ? J’agis lors de mon culte, j’agis seule dans mon recueillement, j’agis avec les autres lorsque je partage un ministère, j’agis quand je défends mes idées, j’agis dans chaque parole et chaque acte, chaque instant. C’est écrasant et vivifiant, de se dire que c’est la lumière qui prévaut en tout. Pour la paix. Pour l’amour. Cela commence dans sa vie, là. Chez soi, dans la rue, au supermarché, avec ses voisins, en voiture, dans le métro, à l’école, au boulot, dans nos associations. Partout. Que ce soit avec un proche ou un inconnu qui demande de l’aide. En tout, j’essaie de tendre vers la lumière. Je doute donc j’agis. Pas facile. Y a des ratés, parfois des gros ratés. Un Ami a parlé de pardon. Le chemin est long. Agir quand même et tendre vers la lumière. Agir par la bienveillance, par l’humilité de recevoir des critiques. Agir sans cesse et rectifier, quand on se trompe. Agir, surtout quand le monde semble marcher sur la tête. Ne pas baisser les bras. Chaque parole, chaque geste compte. Le défi est de garder son discernement pour trouver le chemin de la lumière, garder du recul, car je ne suis sûre de rien. Je cherche. Une secte ne cherche pas, elle impose une vision. Les Amis me semblent être avant tout des chercheurs. Adopteront-ils ce crédo ? Allez, pour une fois.
Je doute donc j’agis.
Anna Delille